La Red Team défense « invitée spéciale » du Colloque du CDSE 2021

Écrit par Marc-Antoine Bindler

11 mars 2022

Réunir des auteurs et des scénaristes de science-fiction avec des experts scientifiques et militaires afin d’imaginer les menaces futures et d’anticiper les enjeux pour les armées et la société… Telle est la mission de la Red Team défense, un exercice de prospective innovant dont l’objectif est de nourrir les réflexions stratégiques, opérationnelles, technologiques et organisationnelles du ministère des Armées et d’acteurs extérieurs.

Trois protagonistes de cette initiative Emmanuel CHIVA, Directeur de l’agence de l’innovation de défense, le commandant Jean-Baptiste COLAS, Copilote de l’Innovation défense lab à l’Agence de l’innovation de défense et Romain LUCAZEAU, auteur de science-fiction, étaient les « invités spéciaux » du colloque du CDSE 2021, jeudi 16 décembre 2021.

>> Retrouvez l’intégralité de la séquence « L’invité spécial du CDSE » avec la Red Team défense en replay vidéo :

« La Red Team imagine les pires menaces, mais elle a besoin d’avoir une courroie de transmission au sein du ministère des Armées. Il ne s’agit pas de produire du scénario pour produire du scénario, mais produire du scénario pour demain, penser la guerre différemment et, surtout, pouvoir y répondre. » C’est ce qu’affirme le commandant Jean-Baptiste Colas, jeudi 16 décembre 2021, lors du colloque du CDSE 2021, au palais des congrès d’Issy-les-Moulineaux. Copilote de l’Innovation défense lab à l’Agence de l’innovation de défense, qui anime la Red Team défense, il précise qu’une partie de ces scénarios « est publiée et rendue publique par la ministre des Armées, Florence Parly » afin de « mettre en avant le travail des auteurs » et de « permettre à la société civile de s’approprier les problématiques de défense ». Un autre intérêt de cette publication est de « communiquer vis-à-vis de la sphère industrielle, économique et des acteurs civils à la fois dans le monde de la défense et hors défense ». C’est ainsi que le ministère des Armées a publié, en janvier 2022, Ces guerres qui nous attendent, 2030-2060 (Editions des Equateurs), un ouvrage regroupant l’ensemble des scénarios rendus publiques par la Red Team.

« Ouvrir les portes d’un monde que l’on ne souhaite pas et s’y préparer »

Emmanuel Chiva, directeur de l’Agence de l’innovation de défense (AID) raconte que la genèse même de la Red Team naît quand son épouse, passionnée de science-fiction, lui fait découvrir le festival « Les Utopiales » à Nantes. « C’est un festival totalement passionnant où nous avons vu de la science-fiction avec de la science dedans et des gens qui étaient capables de créativité et de penser en dehors du cadre », rapporte-t-il. C’est ainsi que l’AID s’est penchée sur la possibilité de « s’appuyer sur ce type de compétences pour ouvrir les portes d’un monde que l’on ne souhaite pas, mais auquel il convient néanmoins de se préparer. »

« Tout de suite, nous avons eu le soutien de la ministre et de son cabinet, des hautes autorités militaires, qui ont compris qu’il y avait peut-être une porte à explorer et surtout que le but n’était pas de remplacer la prospective traditionnelle », se souvient Emmanuel Chiva. La Read Team est ainsi créée en 2019 par l’AID, avec l’Etat-major des armées (EMA), la Direction générale de l’Armement (DGA) et la Direction générale des relations internationales et de la stratégie. Le directeur de l’AID rappelle que le budget consacré à l’innovation de défense dans la loi de programmation militaire 2019-2025 est de 1 milliard d’euros, contre 750 millions auparavant. « Si la ministre des Armées a décidé de créer une Agence de l’innovation, c’est justement parce que l’on s’est rendu compte que l’on entrait dans un nouveau contexte », rapporte-t-il. « C’est d’abord un contexte de rupture des conflictualités : la guerre dans l’espace, la guerre dans les fonds marins, la lutte dans les champs immatériels et la combinaison de l’ensemble de ses effets. C’est également un certain nombre de ruptures dans le monde technologique, par exemple avec l’ordinateur quantique, qui va vous permettre de déchiffrer du code asymétrique et donc de ‘mettre à genoux’ une partie du système financier, d’autant plus que le premier à se doter de cette technologie-là ne le dira pas aux autres ! Ou une rupture de contexte, dans la nature des acteurs à qui nous avons affaire ! Je rappelle que le budget de la recherche d’acteurs comme Huawei ou Alphabet dépasse les 20 milliards d’euros par an, ce qui est plus que le budget de défense d’un état comme Israël. »

Pas d’invasion de zombies, ni de débarquement d’extraterrestres

« J’ai accepté immédiatement parce que c’est une expérience hors du commun », témoigne Romain Lucazeau, membre de la Red Team. Auteur de science-fiction, son premier roman, Latium (Denoël, 2016), un soap opera uchronique, a reçu le grand prix de l’imaginaire dans la catégorie « Roman francophone ». Il rapporte « pour l’anecdote » que Serge Lehman, un autre auteur de science-fiction, imaginait dans son ouvrage Espion de l’étrange (Helios), publié en 1991, « l’histoire d’auteurs de science-fiction travaillant pour un bureau occulte au croisement entre l’espionnage et l’armée ». « Je me suis dit que la prophétie de mon Maître ès science-fiction, Serge Lehman, se réalisait », s’amuse-t-il.

L’auteur précise cependant que son travail au sein de la Red Team est avant tout « rationnel ». « On part d’une thématique, on fait des séances de créativité, on se documente, on échange avec des experts et on différencie les scénarios qui sont effectivement possibles, des scénarios qui ne le sont pas », précise-t-il. Le commandant Jean-Baptiste Colas explique que pour « crédibiliser les scénarios » et permettre à ces auteurs de travailler « comme des chercheurs », l’Agence d’innovation de défense a souhaité associer l’Université Paris Dauphine- PSL à la Red Team. Romain Lucazeau détaille ces processus de création : « Et s’il existait des gens qui vivaient entièrement sur l’eau, comment ils feraient pour se nourrir ? On a posé cette question à un spécialiste de la pisciculture. Et si on essayait de construire un ascenseur spatial, est-ce que l’on pourrait commencer en 2060 ? On a posé cette question à un spécialiste des matériaux dans la haute atmosphère. »

Exemple de scénario imaginé par la Red Team, celui dans lequel « l’évolution technologique renverse le paradigme fondamental de la guerre au XXe siècle depuis les années quarante, qui est celui de la guerre de mouvement », détaille Romain Lucazeau. En 2050-2060, le champ de bataille est « saturé par les drones » et des « missiles hypervéloces » apparaissent.

>> Résumé vidéo du scénario « La sublime porte s’ouvre à nouveau » :

« On développe face à cela des contre-mesures fondées sur des mécaniques de décisions quasiment automatiques, parce que quand un missile hypervéloce vous fonce dessus, vous n’avez pas le temps de prendre une décision humaine », raconte l’auteur. « Cela crée une situation où les armées se retrouvent engluées sur des fronts, sur lesquels il est extrêmement complexe d’avancer, un peu comme pendant la Première guerre mondiale. Cela remet au centre du jeu des choses qui sont peut-être un peu moins centrales aujourd’hui, c’est-à-dire la ruse, ou la déstabilisation de l’adversaire.

Et l’écrivain de poursuivre : « Nous sommes donc là pour générer des mondes futurs alternatifs et dotés de menaces très différentes de ce qui sortirait de la planification stratégique classique. C’est-à-dire que c’est du domaine du possible, mais que c’est surprenant pour l’institution militaire. On est dans l’univers du vraisemblable, il n’y a pas d’invasion de zombies, il n’y a pas d’extraterrestres qui débarquent. »

De la science-fiction à la réalité : le projet Myriade

Le commandant Colas rappelle ainsi que les auteurs « ont des professionnels de la guerre, des militaires en face d’eux ». « Il ne s’agit pas de leur raconter n’importe quoi », note-t-il. « Faire travailler ces auteurs en bonne intelligence et de manière collective a été une partie très importante de la construction et de la structuration du programme. C’est comme ça que l’on arrive à sortir des scénarios aujourd’hui. »

La Read Team est d’ores et déjà à l’origine d’initiatives concrètes. Emmanuel Chiva évoque le projet « Myriade », annoncé par la ministre des Armées en novembre 2021 et qui a pour but « d’établir un certain nombre de moyens, dans le cadre de la guerre cognitive, la lutte cognitive, et le contrôle de l’influence ». Ce projet « classifié », souligne-t-il, « découle directement d’un scénario de la Red Team ». « C’est un projet concret qui montre que le travail de la Red Team ce n’est pas que de la communication : ce sont surtout des projets concrets, qui peuvent être lancés dès aujourd’hui afin d’éviter de subir les menaces que l’on voit poindre. C’est de la prévention de la surprise stratégique. »


Bientôt des directeurs sécurité-sûreté dans la « Red Team » ?

Interrogé sur l’opportunité d’intégrer des directeurs de sécurité-sûreté des entreprises au sein de la Red Team, Emmanuel Chiva estime que « cela peut être tout à fait intéressant et éclairant vis-à-vis de l’approche que [la Red Team] cherche à mettre en place ». « Il est tout à fait envisageable, de pouvoir établir un cercle de réflexion entre nous (la Red Team et le CDSE, Ndlr), avec une contribution utile dans la mesure où vous connaissez ces problématiques-là, étant au contact de la vie réelle, de la vie économique, de la vie technologique, sans laquelle une nation ne peut pas fonctionner. »

>> Colloque du CDSE 2021 : retrouvez l’événement intégral en replay vidéo !

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